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  le blog soueich

Toute l'actualité du monde, de la France, du Comminges, de Soueich. Informations alternatives aux médias menteurs.

Ariha au temps des cerises ?

par Simone lafleuriel-Zakri

dimanche 12 juillet 2015, par Comité Valmy

 

Syrie : D’ Alep à Ariha

Le temps des cerises et ce souvenir que je garde au cœur !

Ce temps des cerises, je l’avais découvert avec grande surprise à ma première visite en Syrie !

Tous les Syriens et, à Alep bien sûr, attendaient l’arrivée des fruits avec l’habituelle gourmandise de ce peuple de fins gastronomes ! Aux premiers jours du court printemps syrien, les cerises étaient de toutes les fins de repas, bien rouges, rafraîchies d’eau, comme emperlées de rosée et présentées sur un lit de glaçons !

 

Mais, et surtout ces sortes de griottes, typiquement orientales, bien noires, bien juteuses mais d’une saveur acidulée, entraient, depuis des lustres, et sans doute sur les tables des modestes comme des sultans, dans la confection d’un plat très recherché : la « viande aux cerises » ou encore « kebhé ou lahmé bel karaz » !

 

Le mets, de plus, est très toujours soigneusement décoré ! Je me souviens très bien de la présentation de ce « lahmé » là ! Et comme l’écrit l’auteur de la chanson du temps de la Commune, c’est bien l’un de ces milliers de souvenirs de la Syrie que je le garde au cœur !

 

A chacun des convives étaient présentée une assiette tapissée d’une collerette de fines tranches de galettes de pain découpées en triangles bien réguliers. Par louchées bien mesurées, nappées et ensanglantées des cerises cuites doucement et rapidement dans leur jus additionné de sucre à la cuisson, le serveur enrobait les petites boules de viande auparavant épicées,grillées et réchauffées dans le jus, puis déposées sur les tranches de pain !

 

Délicatement étaient ensuite rajoutés, sur l’assiette ainsi garnie, une pincée de cannelle, des pignons et, pour la décoration, une poignée de persil ciselé…On pouvait aussi, selon les lieux ou les familles, ajouter un peu de poudre couleur rubis : du piment fort « fle fle haddeh »

 

Pour les faims impérieuses des enfants ou de ceux qui ne pouvaient attendre, les cuisinières confectionnaient des petits sandwichs en roulant dans une galette de pain, roulée serré, des griottes avec un peu de menthe et de cumin, et un filet d’huile d’olive.

 

Il n’y avait au monde, m’assurait récemment une amie exilée d’Alep, un meilleur sandwich !

1-Les cerises sont arrivées à Alep !

J’avais, des années auparavant, entendu parler de ce lameh bel karraz : un mets au goût inattendu - car sucré–salé -, et si délicatement servi mais c’était au Liban ! A ma visite au grand site de Baalbeck, j’avais appris qu’il était une spécialité de la région ! Malicieusement un vieil ami de la famille m’avait interrogé « Mais que viens-tu faire à Baalbeck ? Puis : « Ah je vois, tu veux y déguster notre lameh al karraz ! ».

 

Si le cerisier aux fruits de couleur qui va du blanc cassé au noir, et de taille variée car les espèces sont nombreuses, et si le merisier, lui aux fruits petits, plus acides et moins charnus sont à l’origine, arbres sauvages, ils se sont sans doute échappés, un beau jour, des régions bordant la Mer Caspienne et poussant dru dans l’Anatolie et autres régions froides et montagneuses. Ils se sont ensuite rapidement répandus jusque dans les régions les plus nordiques de la Méditerranée ! Mais de savants et anciens agronomes ont raconté qu’ils n’ont jamais aimé les terres de l’Egypte ! Acclimatés dans les jardins arabes, pas davantage ni le cerisier ni le merisier n’auront fait bon ménage dans les vergers des confrères les précédant tels ces agronomes et cultivateurs romains alors qu’en Mésopotamie irakienne…la cerise était déjà là ! Et pour le monde arabe et de l’Espagne à l’Italie au Maghreb et à l’Irak la cerise est d’abord le grain des rois : le habb al Moulouk. Les arbres transfuges et désormais enracinés un peu partout sur le pourtour de notre mer, furent alors greffés sur leurs congénères ou sur d’autres arbres fruitiers dont le pêcher, l’amandier ou le néflier mais en particulier par ces artistes et très experts en la matière que sont les agronomes arabes andalous. Ibn al Awwam précise que, chez lui, à Séville, on multiplie le cerisier par semis de noyau ou par replantation de rejetons ou de plantes éclatées. Le noyau, précise un autre célèbre agronome Hadj de Grenade, se plante en juin, temps où on le mange ! Et, ensuite, on les fortifie par ajouts d’engrais bien sélectionnés, et on les diversifie ! Au fil des siècles, les arbres sont devenus réputés pour la bonté de ces grains attachés par deux ( et que l’on doit de porter aux oreilles comme un bijou avant de les déguster) …Les cerises sont alors, en Orient, et à Damas, dites de Ba’lbeck ; Dans les anciens traités de pharmacologie, la cerise est nommée karraz ba’lbaky.

 

JebelArbaïn !

Quelques années plus tard, et toujours en famille, nous étions allé déjeuner à maintes reprises au plus haut de ce Jebel Arbaïn : cette « Montagne de la Quarantaine » qui s’élève au sud d’Alep, à une soixantaine de kilomètres, et à gauche de l’autoroute qui amenait aux plages de la côte, les vacanciers de la Syrie du nord et les touristes si nombreux alors dans tout le pays ! Et, bien sûr, tous les convives présents ce jour, avaient commandé de cette délicieuse viande à la cerise !

 

2-La plaine d’Idlib depuis la cime du jebel Zawiyé

Dans le vaste restaurant aux baies vitrées ouvertes larges sur la plaine d’Idlib, que l’on découvrait vers le nord toute plantée, elle, de céréales et ombragée de ses innombrables oliviers, nous n’étions jamais seuls ! Se rendre à Ariha au court temps des cerises , c’était la grande sortie printanière des Alépins, mais comme en cet autre temps de printemps, étaient attendues une coupe d’Hitaliyé : l’arrivée d’une sorte de gélatine toute en douceur au lait, ou encore l’éclatement sec des pistaches si belles dans leur robe écarlate. Les arbres en rangées bien ordonnées alternaient avec les millions d’oliviers, dans les vergers qui s’étendaient d’Alep à Hama et vers Idlib aussi ! Les heureux propriétaires de ces vergers de pistachiers les présentaient alors en corbeille aux automobilistes sur les bords de l’autoroute allant de Maarat al Noman à Hama ! Les pistachiers : arbres grêles et de taille modeste, au printemps, portaient en grappes les fruits enfermés dans leur coque, protégés par une peau satinée comme une peau de chamois, et verte mais tournant au rose, puis au rouge foncé à mesure qu’approchait leur maturité !

 

3-Les pistachiers avant la récolte en juin

De ces spécialités si saisonnières, les nombreux et de plus en plus confortables restaurants bien ombragés en faisaient leur spécialité ! Ils s’étaient le plus souvent installés commodément au bord de l’autoroute Alep Hama Homs Damas, et juste avant l’embranchement de la bretelle qui reliait, à cet endroit la voie devenue rapide, à la côte et aux plages de la Mer syrienne elle, devenue plus communément la Mer méditerranée !

 

4-Au printemps sur les tables syriennes

De jebel Arbaïn à Al Bara : les villes byzantines

Ariha était l’occasion d’un premier arrêt sur nos escapades dans le massif calcaire, à une énième visite aux centaines de sites : sept cents dit-on pour l’ensemble de ces villes byzantines, modestes ou grandioses et riches de leurs productions agricoles :blé, orge, et l’huile d’olive !

 

Pourquoi la Quarantaine ? J’ai souvent posé la question, les avis divergent : certains prétendent que c’est en hommage à quarante Syriens luttant contre les mandataires ! C’est l’explication que j’avais longtemps retenue ! Mais une amie dont le père était un médecin réputé d’Alep m’expliqua que, plus prosaïquement les Alépins devaient y séjourner au moins quarante jours pour se guérir de problèmes pulmonaires ou pour échapper à la fatigue des chaleurs étouffantes de la ville et, enfin, s’y reposer car sur les hauteurs du mont, et sous le couvert des pins, il fait toujours frais et même froid en hiver ! Assez dépeuplée et peu bâtie, il y a une vingtaine d’années, la cime des collines hautes de quelques 500 mètres s’est rapidement couverte d’habitations et, ensuite de grands hôtels et de ces restaurants dont la spécialité était donc ce lahmé al karraz. Déjà, au bas de la ville, le long de la rue qui partait en virages en épingle à l’assaut du sommet étaient installés, les petits entrepôts qui vendaient et exportaient les cerises alternant avec les boutiques traditionnelles typiques des centres agricoles de Syrie ! L’inscription « karraz » calligraphiée en lettres noires sur fond blanc en indiquait bien l’activité essentielle ! Et lorsque l’on montait dans la ville en longeant sur le côté gauche, le rebord calcaire, très vite on découvrait les vestiges de tombeaux antiques : de ces vestiges taillés dans la pierre juste avant et pendant la période byzantine et du 1e siècle au 5e approximativement, pour la période la plus florissante. Il y avait même plusieurs de ces tombeaux dans l’un des vergers que la famille un moment posséda. Les enfants intrigués avaient exploré les caves creusées dans la paroi et y avaient découvert quelques sarcophages ouverts bien sûr, très poussiéreux, et tout à fait abandonnés ! Certaines de ces caves servaient de refuge aux chèvres et aux moutons du coin. Tous ces vestiges étaient de ces blocs de calcaire souvent de grande taille, et découpés dans le roc, puis utilisés pour ces milliers de constructions : habitations et édifices : fermes ou villas cossues, hôtelleries ou maison de réunion pour les gens du village : l’andron, ou églises, monastères, pressoirs à huile, cimetières, thermes…Tous encore bien solidement ancrés dans le sol de leur fondation et, le plus souvent, dans un parfait état de conservation !

 

5-Al Bara sous les oliviers

A partir de Ariha ( ou quelquefois Riha sur les guides ) et en suivant la vallée où s’étendent les vergers d’arbres fruitiers dont ces cerisiers, les villages antiques essaiment dans toute la région ! Pour les retrouver,et en arrivant de Saraqueb, il fallait ne pas rater l’embranchement de Oum al Joz et, sur la gauche, prendre la petite route qui en serpente parmi une multitude de localités entre roche sèche et souvent aride à gauche et la vallée des vergers à droite ! Cette petite vallée va de plus en plus étroite, laissant place en montant dans le plateau de plus en plus désert à ce qui semblait, vers l’ouest un maquis broussailleux. Bientôt, sous les oliviers, les figuiers et aussi des noyers, dominant parfois de leurs plus hauts édifices, les parcelles cultivées, enserrées dans leurs murets de pierre nous découvrions Al Bara à quelques kilomètres de cet autre village antique presque intact :Sergilla !

 

6-Sergilla en plein midi, l’andron réservé aux réunions des hommes et les thermes écrasés de soleil !

Al Bara était souvent la halte pour un déjeuner copieux parmi les ruines. Le site s’étend dans l’oliveraie et est très ombragé !

 

Et en ces mi- journées déjà chaudes, nous n’avions que la visite des jeunes à moto toujours, et ayant souvent en croupe des jolies adolescentes ! Ces jeunes semblaient prendre beaucoup de plaisir à sillonner le vaste site bien desservi par un bon réseau de routes. Pour les touristes pressés, les vestiges se visitaient d’ailleurs en voiture ! Pour cette jeunesse syrienne des campagnes il n’y avait à vrai dire que peu d’autres plaisirs que les virées en moto tant dans ce jebel, par exemple, la région semble assez isolée, et même si le pays un temps dépeuplé s’anime de nouveau, qu’Hama la prude n’est pas si loin, que les routes sont bonnes qui quadrillent toute la zone entre l’autoroute et la longue vallée du Ghab….

 

Il n’y a pas grand renseignement sur ce que fut dans le passé proche Ariha ! Il y eut après l’essor de la période romaine, un semi silence puis le passage des Croisés ! Arrivés à Al Bara en remontant d’Antioche, ils y trouvèrent au moins cinq églises, - il y en avait au moins huit - et un peu plus loin, au sud-ouest, deux monastères. Raymond de Saint, comte de Toulouse qui prit possession de la ville alors très prospère, déposa l’évêque trop oriental et lié à Constantinople ! Il imposa un dignitaire plus catholique et latin ! La basilique est presque intacte, dominant la verdure de ces deux étages. Du sommet on découvre alors la petite vallée du wadi Goz et en face, vers l’est, le village moderne Par la route qui le traverse on gagnait alors les autres sites dont celui de Sergilla !

 

Le massif calcaire dans la partie nommée Zawihé, n’est évoqué dans les archives ou dans les livres que pour les nombreux villages laissés par ces cultivateurs aisés producteurs d’olive,ou de céréales, et qui pressaient aussi le vin ! Al Bara compte plusieurs pressoirs très bien conservés ! Meghara, Al Bara, et Sergilla étaient de ces nombreux sites tous bien répertoriés, les plus fréquentés par les touristes mais pour les visiteurs qui voulaient s’éloigner de ces villages bien conservés et qui leur permettaient de se faire une idée de la vie d’alors, ils en découvraient sans cesse d’autres : édifices isolés ou hameaux, ou champs assez informes de pierres écroulées que dominaient encore une haute arche, une tour, un pan de mur intacts…

 

7-Le petit fleuriste de Ariha et sa boutique à l’entrée de la ville

Aujourd’hui sur le net, Ariha et la région d’Idlib, comme les alentours de Maarat al Noman et à partir des années 2012 sont surtout présents parce qu’ils furent et sont toujours le théâtre de combats très meurtriers, très destructeurs. Les sites, bien sûr, sous leurs oliviers ou dans les vergers de cerisiers sont, depuis des années déjà, désertés et, peut-être, même des gais rossignols et merles moqueurs tous en fête autrefois au joli temps des touristes, et des archéologues, et comme dans la chanson. Aujourd’hui complètement apeurés et muets de colère ou de tristesse, ils ont dù fuir les caves creusées au plus profond de la roche, Elles doivent servir pour des repaires de combattants, et des caches de munitions diverses. Les curieux tombeaux antiques d’Al Bara, datant du 6e siècle et de si belle facture au très pentu et haut toit pyramidal, trop païens sans doute, ont été, il y a peu, détruits comme les sarcophages qu’ils protégeaient ! Ils étaient les tombeaux de ces riches propriétaires terriens qui soignaient le décor de leur vie d’après, comme à Palmyre mais pour eux sous leurs oliviers et sur leur terre qu’ils avaient si bien cultivée !

 

8-Al Bara : le tombeau détruit

Dès 2012, la population surtout les hommes et les jeunes gens prirent parti, en clan ou en famille, pour l’un ou l’autre camp. Un de ces villages au milieu des vestiges antiques : Islhem en direction de l’ensemble de quelques belles maisons du hameau de Dallozé a abrité ou abrite un groupe local dit « libre », et qui rassembla surtout des hommes de la région ! Et en dernière nouvelle, aujourd’hui, les villageois manifestent pour qu’ils les quittent au plus vite, ces occupants arrivés ensuite des frontières : des étrangers en majorité, et qui les terrorisent et détruisent leur économie, et ferment leurs boutiques et attentent à leur vie sous toutes les formes les plus perverses ! Ils ont déjà trop souffert !

 

Quand, le massif fit parler de lui, mais juste avant Palmyre, dont le martyre bien médiatisé éclipsa le leur et par les combats qui ensanglantent à nouveau, l’ensemble du massif calcaire, il m’est revenu au cœur ce temps des cerises :

 

Un temps dont on ne parlera pas,ni en Syrie ni de notre côté de la Méditerranée même si, pour tant de Syriens et ou de proches, de ce temps là et de tous les massacres nous ne pourrons tous que garder au cœur une profonde et terrible plaie ouverte !

 

J´aimerai toujours le temps des cerises

C´est de ce temps-là que je garde au cœur

Une plaie ouverte

Et Dame Fortune, en m´étant offerte

Ne saura jamais calmer ma douleur

J´aimerai toujours le temps des cerises

Et le souvenir que je garde au cœur.

….

Simone lafleuriel -Zakri

Juin 2015

Source :
http://mlfcham.com/index.php ?option=com_content&view=article&id=1617 :ariha-au-temps-des-cerises-par-simone-lafleuriel-zakri-&catid=294 :syrie&Itemid=2156

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