Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
  le blog soueich

Toute l'actualité du monde, de la France, du Comminges, de Soueich. Informations alternatives aux médias menteurs.

TURQUIE : DÉRIVE TOTALITAIRE, VOIRE FASCISANTE…

Etienne Pellot

L’Envers des Cartes du 9 novembre 2015

vendredi 13 novembre 2015, par Comité Valmy

 

Voir en ligne : La Turquie va à la guerre - par Mike Whitney

TURQUIE : DÉRIVE TOTALITAIRE,
VOIRE FASCISANTE…

Le 12 octobre dernier, prochetmoyen-orient.ch s’inquiétait de la « stratégie de la tension », privilégiée par le président turc Recep Erdogan, entretenant l’insécurité et la peur dans l’espoir de reconquérir une majorité parlementaire, lors de nouvelles élections organisées dans un climat des plus délétères. Devenu le premier président élu au suffrage universel en août 2014, « Tayyip bey », comme l’appellent ses complices, ne veut plus être un président « protocolaire », comme le préconise l’actuelle constitution, mais un chef de l’Etat doté des plus larges pouvoirs. « Environ 80 % des pays du G20 connaissent un régime présidentiel (…) nous sommes obligés de reconnaître les nouvelles réalités du monde », déclarait-il dernièrement.

 

Cherchant à donner à son Parti de la justice et du développement (AKP – islamo-conservateur), la majorité nécessaire pour faire basculer le pays dans un régime présidentiel fort, les élections législatives du 7 juin dernier lui ont donné tort. Pour la première fois en treize ans, son parti perdait sa majorité parlementaire. Avec 41 % des suffrages, soit 258 députés sur 550, l’AKP restait, certes la première formation politique du pays, mais accusait la défaite électorale la plus cinglante de son histoire. Normalement, le premier ministre Ahmet Davutoglu avait quarante jours pour former un gouvernement d’union nationale. Mais celui-ci a mis une telle mauvaise volonté en proposant seulement des strapontins à l’opposition que de nouvelles élections ont été convoquées pour le 1er novembre. C’était clairement l’obsession de Recep Erdogan : revenir devant les électeurs dans un contexte sécuritaire chauffé à blanc, travaillé par une stratégie de la tension multipliant les attentats avec l’aide des services secrets (MIT) du très fidèle Hakan Fidan, de l’extrême-droite (notamment Les Loups Gris) et des mafias liées à l’AKP… Quant à bourrer les urnes, « on ne peut exclure que cette vieille pratique ait pu être largement mise en œuvre dans les villages des campagnes les plus reculées », estime l’un des ambassadeurs européens en poste à Ankara.

 

La dérive autoritaire s’était clairement amorcée au printemps 2013, lors des événements du parc de Gezi, alors que plusieurs centaines de milliers de manifestants s’opposèrent à un projet immobilier du centre d’Istanbul privilégiant des milieux d’affaires liés à l’AKP. Violemment réprimée, cette mobilisation populaire – qui fit huit morts – se retourna contre Erdogan taxé alors d’autoritarisme, sinon de mégalomanie. La presse, la police, ainsi que la justice furent l’attention d’une systématique campagne d’intimidation et d’épuration rappelant les vieilles méthodes des colonels grecs mises à l’écran par Costa Gavras dans son merveilleux « Z ». Erdogan s’en prenait alors directement à la Confrérie de son ancien mentor Fethullah Gülen exilé aux Etats-Unis, recourant à la censure, aux arrestations arbitraries, ainsi qu’à plusieurs enlèvements. La rupture avec les « gülenistes » va être montée en mayonnaise par les médias aux ordres et présentée comme un complot ourdi d’un étranger « anti-turc »… Son entourage d’affairistes échappe aux différentes tentatives d’enquêtes en matière de corruption. Dès ce moment, l’ensemble des opposants sont traités comme des « traîtres à la nation ». Selahattin Demirtas, le chef du Parti démocratique des peuples (HDP/pro-kurde), qui, le 7 juin a recueilli les voix kurdes allant d’ordinaire à l’AKP, est décrit par lui et les médias officiels comme un « suppôt du terrorisme »

 

.

Après la présidentielle de 2014, la mise en chantier d’un palais de 200 000 mètres carrés à Ankara, amorce une dérive à la Ceausescu et ouvre les vannes d’une rhétorique ubuesque proprement délirante, actionnant tous les ressorts d’une idéologie populiste, nationaliste et religieuse. Sa folie des grandeurs et sa perte de contact avec les réalités valent à Erdogan le surnom de « Sultan »… De janvier à août 2014, il convoque en son palais des dizaines de milliers de maires de villages et de localités (mukhtars), tenant les propos les plus délirants : « Les maires devraient savoir qui vit dans quelle maison, qui sont les terroristes. Ils devraient rapporter ces informations aux services de sécurité les plus proches ». Dans ce contexte est mis sur pied un système informatique qui permet aux maires d’envoyer leurs dénonciations directement aux barbouzes du régime. Jamais la Turquie n’aura été aussi divisée : « ceux qui professent le séparatisme ethnique, religieux, vestimentaire sont les traîtres de la République », affirme sans ciller Recep Erdogan.

 

Le 2 novembre dernier, retrouvant une majorité parlementaire absolue (316 sièges sur 550), le Sultan aurait pu jouer l’apaisement et le rassemblement. Au contraire, il choisit au le durcissement et l’épreuve de force : presse et opposants sont dans la ligne de mire. Dès le 3 novembre, un tribunal d’Istanbul inculpe et emprisonne pour « tentative de coup d’État » les deux responsables du magazine d’opposition, Nokta qui avait osé titrer « Le début de la guerre civile », au lendemain de la victoire de l’AKP. Ce même 3 novembre, oublieux des dix-huit mois de négociations arrêtées unilatéralement au printemps dernier, Erdogan relançait la guerre contre les militants kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui sont pourtant engagés en première ligne contre les fous furieux de l’organisation « Etat islamique » que les services turcs aident toujours activement. Dans le sud du pays, l’armée bombarde les camps du mouvement autonomiste, jusqu’au nord de l’Irak. Le 5 novembre, Erdogan proclame officiellement qu’il poursuit la lutte contre les rebelles kurdes et leur propose de rendre les armes ou « d’être liquidés… »

 

A l’évidence, le pouvoir rend fou ! Celui qui a apporté la stabilité à la Turquie et a doublé le niveau de vie de la classe moyenne en quinze ans veut aujourd’hui faire de son pays le modèle d’un État musulman, conservateur, qui veut s’imposer comme la seule puissance régionale face à un Iran qui revient dans le jeu. Recep Erdogan se félicite que la stratégie de la tension visant à diviser le pays entre Turcs kurdes et non kurdes a été payante, la population craignant un retour à la guerre civile des années 90. Par ailleurs, le Sultan prend le pari que les Occidentaux fermeront les yeux sur sa dérive fascisante : il met en avant l’une des armées les plus puissantes de l’OTAN et exerce sur les Européens le chantage aux réfugiés, la Turquie abritant aujourd’hui quelque deux millions de Syriens. L’ONU estime déjà que 600 000 réfugiés arriveront en Croatie, en Grèce, en Serbie… via la Turquie dans les prochains mois, alors que 750 000 personnes y sont déjà entrées début novembre.

 

Face à cet Ubu roi, les Européens – à commencer par Madame Merkel et le très falot président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker qui s’apprête à lui verser 3 milliards d’euros -, sont d’une indicible et d’une inqualifiable lâcheté ! Il aurait fallu – et ce, depuis longtemps – commencer par dire à Recep Erdogan que les discussions d’adhésion à l’Union européenne ne se poursuivront seulement – et seulement ! – après le règlement de deux préalables non négociables : la reconnaissance du génocide arménien et le retrait de Chypre, membre à part entière de l’UE. Malheureusement, ce dossier échappe complètement aux Européens, qui reste aux mains de la Maison Blanche et des stratèges militaires de l’OTAN…

 

Etienne Pellot
9 novembre 2015

Proche&Moyen-Orient.ch
Observatoire Géostratégique

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article