3 Avril 2009
par Michel Cabanier
Assis tout près du château de Quéribus, les yeux rivés vers les étoiles, l’être dépose à ses côtés les choses de la vie, afin de s’identifier un instant aux profondeurs de l’infini, à l’écoute des pierres, du message des astres, et de cette saine émotion qui, dans le coeur, grandit. Combien d’êtres as-tu vus passer de ton piton rocheux ? Combien de maux, d’illusions, de discours sans fin ?
La chair se dissout dans le creuset du temps qui passe. La pensée, tout comme le pollen dans le vent printanier, s’éparpille en une genèse discontinue dans les consciences nouvelles et a venir. Fou est celui qui se croit seul parmi la multitude, à gémir sans cesse dans l’orbe de sa vie, à rejeter sur l’autre la cause de son mal de vivre, à ne juger le monde qu’à travers le “on dit”, l’écran de télévision, la fausse réalité de son vécu quotidien, masqué par la turbulence et l’agitation de son propre mental.
Petite planète bleue autour de son étoile, à la lisière de la Voie lactée, qu’évoque pour toi le « je suis » ? Rien sinon un grain de poussière muni d’une embryonnaire particule d’intelligence, assemblée à d’autres particules, en route vers l’immuable et inconnaissable infini.
Dès sa naissance, Isis recouvrit d’un voile le visage de l’Homme, afin qu’il ne vit point la beauté de ses yeux. Ainsi, toute sa vie plongé dans l’ignorance, il devait errer dans le labyrinthe obscur de ses propres passions. Seul l’éveil progressif de son intelligence doit lui permettre, un jour, de saisir à pleines mains le fil d’Ariane de la liberté, afin qu’à la Lumière retrouvée, il puisse goûter le fruit mystérieux de l’Arbre de la Connaissance, situé en plein coeur de son Eden perdu.
La Dame du lieu, vêtue d’une longue robe blanche, apparaît parfois au promeneur solitaire venu se recueillir ici, un soir, lorsque la nuit est constellée d’étoiles. Elle vient chuchoter doucement à l’oreille quelques mots,quelques phrases audibles au coeur sensible, uni un instant dans l’instant d’éternité.
Qu’est-ce qu’une seconde dans l’éternité de l’Univers ? Un être s’efface, un autre vient. Est-il quelque chose de subtil qui fait vibrer la vie dans la fleur qui s’éveille, dans l’enfant qui crie au monde naissant ? Energie de vie, t’arrêtes-tu vraiment lorsque, le dernier souffle venu, l’être s’endort pour dans le néant se fondre ? «Il est d’étranges soirs, disait le poète, où les fleurs ont une âme... Il est d’étranges moments où, lorsque le mental s’estompe, le coeur chavire dans les profondeurs du silence intérieur.
Va ! Va mon âme vers ces étendues mystérieuses que le mental, trop bavard, ne soupçonne même pas. Ramène-moi de ton voyage ces quelques fragments de Lumière, transmis depuis l’aube des temps par la magie du symbole, par le verbe de ceux qui ont osé gravir le difficile sentier de la connaissance, et dont les mots, telle l’écume sur les écueils épars, se sont à jamais brisés en nos mortelles consciences.
L’Homme, la Nature et l’Univers sont une image cristallisée, une émanation, une projection de la lumière de l’Intelligence universelle. Le reflet va s’identifier à sa source, devenir ainsi lui-même la Lumière, et retourner à l’unité, Tout n’est que flux et reflux dans l’Océan cosmique. Tout est continuité commencement, fin, recommencement. Le monde de la forme, mû en un mouvement de spirale par l’énergie invisible de l’intelligence, ne peut concevoir son Créateur sans en ressentir l’essence derrière le souffle du vent, la fleur qui éclôt, la chenille devenant papillon, l’enfant qui tend la main pour quatre grains de riz, le vieillard sur son banc, attendant le moment où il devra partir. Par l’abstraction de l’illusoire apparence, le coeur peut percevoir, à travers la multitude, cette force d’Amour dans laquelle il vient se fondre et où il n’est question ni de races, ni de religions ni de couleurs. Elle est là, l’éternité, en cette force immobile, omniprésente, cause du mouvement et de la vie. La spirale, symbole d’évolution, indique parfaitement sur un plan pratique que jamais, dans sa vie, l’Homme ne revient en arrière ; ce qui du reste serait en opposition avec les lois de l’Univers.
Le corps se forme, se déforme, meurt et retourne dans le cycle de la nature. Il n’est que le support, le reflet dans le miroir de l’âme. L’esprit, attiré par la matière apprend, évolue, puis s’en retourne vers de nouveaux rivages, vers de nouveaux visages, sur un chemin qui n’a ni fin ni commencement.
Dans l’incarnation, l’esprit est soumis à la fois à l’influence de la matière, de polarité négative, ou passive, et à l’influence de l’Intelligence universelle, de polarité positive, ou active. Le maintien de la vie dépend du rapport de force entre ces deux polarités dont le déséquilibre, dans un sens ou dans l’autre, conduit à la maladie physique ou mentale.
Enfermé dans son corps de chair, l’être se croit unique, seul parmi la multitude. Aussi est-il tenté par l’illusion de ses sens et par ce qu’il pense être la réalité. Nous commettons des erreurs de jugement dans nos paroles et dans nos actes, souvent par l’ignorance qu’il y a en nous autre chose que des atomes et des électrons, et que la seule chose qui diffère de nos semblables réside dans l’apparence extérieure. Derrière le masque se cache l’infini d’où nous venons et où nous reviendrons.
Telles les couleurs de l’arc-en-ciel se noyant dans l’éclat du soleil, les êtres qui partent vers le pays de l’éternelle aurore se fondent dans le tout de l’unique Lumière. Et, tout comme ces mêmes couleurs de l’arc-en-ciel semblent surgir lorsque les rayons du soleil percent le rideau de pluie, de même, par l’union des contraires, le Un devient multiple.
La Lumière, cristallisée dans la matière par l’intermédiaire de l’Amour, devient la Vie. La vie manifestée est la réflexion de l’Intelligence universelle, tout comme la lumière de la Lune est la réflexion de la lumière du Soleil. Ainsi, le centre de la cellule bat comme un coeur à l’image de notre propre coeur. De même les planètes possèdent une croûte de matière et un centre d’énergie, à l’inverse de l’étoile qui, elle, possède une enveloppe externe d’énergie et un noyau de matière plus compacte. Sur cette réflexion, nous pouvons pleinement percevoir le principe de dualité dans l’univers visible. Le Un, la Lumière, l’Intelligence, le Soleil, crée le Deux, l’intermédiaire, le principe féminin, la Lune, d’où jaillit le Trois, la Création dans son ensemble. La Lune, en sa période de 28 jours, reflète peu à peu la lumière du Soleil jusqu’au point ultime appelé pleine lune, puis s’estompe peu à peu vers les ténèbres jusqu’à une prochaine circonvolution. Cette lumière n’est qu’apparente, trompeuse, instable, inspirante, sensuelle. Elle représente le principe féminin, maternel, la fécondité, l’inspiration du poète, le rêve, le monde sensible, et surtout le domaine émotif.
L’Être, en ses balbutiements, va apprendre à maîtriser ses émotions, sa nature sensuelle, son inconstance, afin de se diriger tout doucement vers sa propre lumière, vers l’éveil de la volonté, ce que l’on pourrait nommer l’état solaire. L’attachement à l’apparence conduit vers l’obscur, tout comme la vénération de l’image conduit au dogme, à la peur, à l’intégrisme, au culte de la personnalité qui, du reste, est une entrave sur le chemin. Il est certainement plus intéressant d’imiter la vie d’un saint homme, plutôt que de chérir les restes de sa tunique ou son tibia. L’image, ou symbole, doit servir de repère, de borne de direction, et non de totem. Un proverbe chinois énonce « Lorsque le sage montre l’étoile, l’ignorant regarde le doigt ». Ici réside la différence entre le monde de l’illusion, figé, fini, mortel, et le monde de l’infini, ce grand océan de l’éternité dans lequel, en fait, nous baignons. L’initiation est le passage progressif de la Lune au Soleil, des ténèbres à la connaissance, du fini à l’infini.
Le vice enchaîne l’âme à la matière, tout comme le développement de certaines tares tels l’égotisme, l’égoïsme, l’orgueil, l’avarice, la jalousie, la haine, qui entraînent l’être dans le trou noir de son étoile intérieure. Le Moi, étant exempt de tout rayonnement extérieur à cause d’un amour excessif de lui-même, agit en sens inverse de l’évolution et recroqueville la personnalité de l’être, jusqu’en son effondrement total dans une permanente illusion. Ainsi, peu à peu, les centres d’énergie se ferment, diminuant de fait l’expression de l’Intelligence universelle, dont le but profond semble davantage lier l’individuel au collectif, que le collectif à l’individuel.
Le manque de recherche spirituelle, dans notre monde moderne, enfonce l’Humanité dans les profondeurs de la bêtise et de l’abrutissement médiatique. Combien pensent, au lieu de juger les autres, à mieux se méfier de l’ennemi dont le miroir leur renvoie l’image, à savoir la leur ? Aussi il est préférable de développer la simplicité de coeur et de pensée plutôt que de se perdre en ces conjonctures intellectuelles qui, en fait, ne font qu’amplifier les illusoires valeurs de l’ego, ne semant çà et là que des graines stériles dont se nourrissent certains en mal de pouvoir et de gloire. Mais est-il utopique de croire encore en un renouveau spirituel, alors que Maïa, la déesse de l’illusion, couverte de la tête aux pieds d’or et de pierreries, entraîne l’homme vers ces abîmes insondables où les seuls dieux sont la “pub”, l’argent et l’apparence ? Sans oublier, bien entendu, le portable et Internet !
Photo Christian Roucheux
Lorsque à l’horizon l’astre roi se lève, badigeonnant la nature de ses rayons dorés, la muraille du château s’éclaire et l’esprit semble s’envoler. Une douce mélodie résonne à mes oreilles, tel un message issu de l’infini. Un jour, une seconde, un instant d’éternité, tout là-bas dans la lumière, un ange sourit en me montrant l’arcane.